Swedish House Mafia : débrief d'un retour mouvementé (2024)

Rarement une saga n’aura été aussi décousue que celle de la Swedish House Mafia depuis sa reformation en 2018, ou même sa séparation en 2013 pourrait-on dire. Après trois ans à naviguer dans un trouble manifeste qui aura fait passer les fans du supergroupe par tous les états, le trio légendaire de Stockholm est enfin de retour. Ca y’est. La fusée a décollée. Fini les rumeurs, fini les leaks (en fait non), plus de rétropédalage, d’annulation, de faux-départs… «It Gets Better», le premier single de la Swedish est officiellement disponible depuis ce jeudi 15 juillet.

Pour l’occasion, Axwell, Sebastian Ingrosso et Steve Angello ont choisi le géant américain Billboard pour donner quelques détails sur ce come back annoncé comme surmédiatisé. Une première interview commune depuis près de 8 ans qui offre certains éclairages mais lève également nombre de nouvelles questions quant à la reformation «for life» des suédois. On vous propose dans cet article de retranscrire les passages les plus marquants de l’entrevue, de comparer ceux-ci avec les échos officieux ou officiels recueillis chez Guettapen ces dernières années et surtout de tenter d’analyser un tant soit peu ce bazar organisé.

De par son passé, son prestige, son potentiel inachevé (le groupe n’ayant sorti que 6 tracks dans son histoire commune) ainsi que sa fanbase toujours prête à se mobiliser, la SHM a toujours et fera toujours parler d’elle. Son retour ne pouvait qu’être dramatique. On était pourtant assez loin de se douter des multiples formes que ce dernier prendrait, depuis la célèbre réunion sur la mainstage de l’Ultra Miami, jusqu’à la sortie du titre «come-back».

Pour celui-ci, plusieurs pistes étaient envisagées: une track progressive anthemic à la «Don’t You Worry Child» pour réactiver les fans, un tube pop aseptisé pour montrer qu’on est toujours un groupe indétrônable des charts ou encore un titre introductif sombre et musclé pour jouer la carte de la crédibilité. Rien de tout cela finalement. Certains diront que It Gets Better coche pourtant la dernière case, on leur répondra que cela aurait été le cas de la version 2019 jouée à Stockholm. It Gets Better 2021 est bien différente, et la réaction largement nuancée du public en est la preuve. Alors que vaut ce titre? Mérite-t-il cet accueil sceptique? Quel présage pour la suite? Eléments de réponse.

C’est écœurant de revenir en arrière

Sebastian Ingrosso (Billboard)

Au lendemain du réunion show en clôture du 20ème anniversaire de l’Ultra Miami, le buzz est phénoménal, proportionnel au poids que revêt la Swedish au sein de la scène électronique. Convaincus par le producteur exécutif d’Ultra Adam Russakoff et la manageuse historique du trio Amy Thomson, la SHM acceptait de revenir sur scène l’espace d’un soir pour une somme avoisinant le million d’euros.

Pourtant, rien ne va ou presque en interne. Leak de la performance quelques jours en amont, set pauvre en nouveautés, tensions au sein du groupe, problèmes techniques durant le show… les difficultés sortant des coulisses de ce come-back ont souligné à quel point une véritable reformation aurait nécessité un changement plus radical qu’une simple poignée de semaines à travailler sur un show. Symbole de cette fragilité, au cours des trois années suivantes, les tentatives de produire de nouveaux sons pour définitivement relancer la machine SHM auront longtemps été infructueuses.

Rapidement, Amy Thomson quitte le navire. Billboard révèle que cette dernière se sentait notamment poussée par Scooter Braun, alors en charge de Steve Angello.

Avec Amy Thomson, le feeling n’était plus vraiment là

Axwell (Billboard)

A ce moment, la Swedish House Mafia reste toujours sans label. En contact avec plusieurs d’entre eux dont BMG, Amy Thomson avait vu le vice-président de BMG Thomas Scherer écarter rapidement le profil du groupe, et ceci malgré son prestige. D’après Billboard, Scherer aurait perçu la SHM comme un groupe essayant de tirer parti de sa gloire passée pour obtenir une avance de plusieurs millions de dollars, qu’il a qualifiée d’« irréaliste », compte tenu de son manque de nouvelles musiques. «Ils voulaient dire:» Nous étions là [en termes de] position dans les classem*nts et nous y sommes toujours», explique Scherer. «Mais la musique a évolué depuis.»

Le Vice-Président de BMG a perçu la SHM comme un groupe essayant de tirer parti de sa gloire passée pour obtenir une avance de plusieurs millions de dollars, qu’il a qualifiée d’« irréaliste », compte tenu de son manque de nouvelles musiques.

Billboard

Coté studio, le trio bloque. Une chose apparait vite comme certaine: hors de question de réchauffer les vieux succès du début des années 2010. Sebastian Ingrosso confirme à Billboard: «Je me suis dit que ça me ferait chier. C’est déprimant de retourner en arrière. C’est écœurant.»

Un sentiment qu’on devine aisément chez les scandinaves avec à l’époque les sorties de l’album «Human» d’Angello, les collaborations Trap avec Salvatore Ganacci pour Ingrosso ou encore la Housy «Nobody Else» d’Axwell, tant de projets éloignés des racines du trio. Dans ce cas, pourquoi avoir enchainé les shows sans nouveautés à proposer? On conçoit qu’il est possible de vouloir se tourner vers l’avant sans pour autant renier sa discographie, mais il est évident que les prestations scéniques de la Swedish House Mafia 2.0 ont conduit sa fanbase à penser que cette reformation se placerait sous le signe des sonorités jouées en live.

Demain, je ne vais pas entrer au studio, appeler les gars et leur dire: «Yo, les chiffres en playlists sont mauvais.» On s’en fout.

Steve Angello (Billboard)

De la nouveauté avant tout. Ce sont les intentions désormais affichées par le groupe sous l’impulsion notamment de Steve Angello. «Je n’essaie pas de satisfaire les plateformes digitales. Mon objectif, c’est de faire un album que nous aimons et de le sortir. Je ne vais pas entrer au studio, appeler les gars et leur dire: «Yo, les chiffres en playlists sont mauvais» On s’en fout.»

Passé entre temps en management chez Ron Laffitte, le groupe signe via celui-ci sur le label Columbia Records, division du groupe Sony Music. Malgré une bonne entente, les discussions sont infructueuses et la pandémie mondiale achèvera la collaboration avec le label, signant par le même biais celle avec Ron Laffitte. Un nouveau contretemps dans la refonte du projet tant attendu, alors que le groupe continue de performer entre deux annulations de dernières minutes et qu’il se permet surtout d’annoncer des sorties prochaines.

Swedish House Mafia : débrief d'un retour mouvementé (1)

On a trouvé que Columbia regardait trop vers le passé. Et ce n’était pas notre cas. Je crois qu’on a dû virer quelque chose comme 12 ‘Don’t You Worry Child’ pendant la création du nouvel album.»

Steve Angello (Billboard)

Autant de couacs, d’incertitudes, de volonté de mettre la charrue avant les bœufs… on se dit alors que le groupe cherche purement et simplement à effectuer un dernier braquage en capitalisant sur sa hype passée et en promettant une fausse reformation. Le boys band dément aujourd’hui une telle attitude, se justifiant par les coûts de productions qu’il a toujours investi dans ses shows, ainsi que la proposition d’un premier single qui n’apparait pas en effet comme une tentative précipitée (c’est le moins qu’on puisse dire) de faire un billet rapide.

Toutefois, l’alchimie n’y est pas. La communication jadis si brillante, maitrisée et efficace du projet sous l’égide d’Amy Thomson n’est plus à l’ordre du jour. Si le groupe tente de maintenir ces codes, à coup de rafraichissem*nt des comptes Instagram, de messages cryptiques et autres coups marketing, le fond fait défaut. Les comptes à rebours ne donnent sur rien d’autre que du merch et des shows axés fan-service, les sorties annoncées ne viennent pas.

La com si spéciale made in SHM s’enraye et agace progressivement les fans. Symbole de cette perte de contrôle, on ne peut s’empêcher de lire avec malice les propos tenus à Billboard par Axwell sur des stratégies de communication envisagées en 2019 sous Columbia. «Une idée qui était géniale était de sortir un titre [sur les plateformes streaming], puis de le retirer», explique-t-il. Une volonté intéressante de valoriser et mythifier son contenu dans de nombreux cas, sauf que dans celui de la SHM 2.0, il y a fort à parier que les fans auraient perçu cela comme un énième fail, quiproquo ou retournement de veste de la part du groupe tant il se serait inscrit dans un contexte instable.

Swedish House Mafia : débrief d'un retour mouvementé (2)

Passés chez SALXCO, l’agence à succès de Wassim Slaiby en début d’année, les suédois ont enfin trouvé une relation ou du moins un timing propice au lancement de leur deuxième carrière. Le groupe souhaite se mettre en danger, changer d’univers et faire peau neuve. «Toute la bulle EDM pour moi est arrivée à un point où personne ne prend de risques, pour être honnête, y compris moi», admet Sebastian Ingrosso.

Cela tombe bien, malgré sa réussite éclatante, Slaiby qui a toujours su se montrer créatif lorsqu’il s’agit de son poulain The Weeknd, explique à Billboard être sur la même longueur d’onde que ses nouveaux protégés. Initialement mis sur le coup par les conseils communs de Ash Pournouri (manager d’Avicii) et Daniel Ek (boss de Spotify), Slaiby déclare avoir d’abord répondu à ce dernier «Tu sais, je ne connais pas grand-chose à la Dance Music en tant que manager.» Billboard relate que les quatre hommes auraient alors passé trois heures sur Zoom à se connaître («Nous n’avons pas parlé d’affaires une seule fois», explique Slaiby), et bien que le manager du moment ait d’abord pensé qu’il pourrait recommander les Suédois à un autre de ses confrères, les choses ont vite changé. «A la fin de la réunion je me suis dit: Aucune chance, ces gars sont à moi.”

Le partenariat qu’on a avec Republic Records est génial parce qu’ils donnent à The Weeknd une vraie liberté. Pour moi, la Swedish House Mafia c’est pareil : plus vous leur donnez de conseils, pire c’est pour eux. Laissez-les faire leur truc. Ils vont se trouver.

Wassim «Sal» Slaiby (Billboard)

C’est dans cette configuration que sort donc «It Gets Better». Mais venons-en au contexte rapproché. Sans signe de vie ces derniers mois, le groupe installe le week-end dernier ses fameuses affiches souvent utilisées pour teaser un événement. Alors que la presse annonce la sortie imminente d’un single «Lifetime» en featuring avec Ty Dolla Sign et 070 Shake effectivement apparu dans un planning du show de Jimmy Fallon, le public a la surprise de découvrir ce jeudi matin un «leak», puisque la nouvelle version de l’ID «It Gets Better» apparait avant toute autre distribution sur la plateforme Beatport.

Avec un sound-design léché et une déclinaison moins punchy mais probablement plus expérimentale et unique que la V1, le titre reste de très bonne facture, bien qu’on passera notre tour pour ce choix surprenant de cowbells. Il est par ailleurs rapidement accompagné par la sortie d’un clip réussi signé par la valeur sûre Alexander Wessely. On y retrouve des scènes fortes dont l’éveil final du groupe en guise de transition vers de nouveaux titres.

Swedish House Mafia : débrief d'un retour mouvementé (3)

Alors pourquoi une réception si contrastée ? Si la direction artistique est louable et attise notre curiosité pour la suite (il ne s’agit que d’un single introductif après tout), la communication des dernières années jusqu’aux derniers jours aura totalement fait perdre le fil aux fans. Un temps amené sur la piste d’un retour basé sur les sonorités «classiques» SHM, le public de cette dernière aura par ailleurs reçu la sortie de It Gets Better avec une soudaineté brutale saupoudrée de l’approximation habituelle régnant autour du projet. En effet, ce n’est finalement pas «Lifetime» qui sortira finalement mais un autre single lui-même retravaillé sous une autre version que celle qui avait marqué les fans lors des shows et que ceux-ci avaient alors adoptée en anticipant sa sortie officielle.

Cette stratégie coup de poing a du sens lorsqu’on a sous la main un contenu fort, assuré de convaincre. Un single moins évident à mettre entre toutes les oreilles comme «It Gets Better» aurait idéalement nécessité plus de tact et de clarté dans sa présentation. On peut voir cette absence de démarche comme du courage, celui de présenter sa musique sans se soucier de sa réception, ou alors simplement un plan mal calibré. A l’inverse, de nombreux observateurs extérieurs qui n’avaient aucune attente envers l’ID originelle ou même envers la SHM en général se sont souvent montrés conquis, relevant des liens avec les sonorités 90’s de The Prodigy ou avec des artistes tels que Noisia, Skrillex ou Gesaffelstein.

On soulignera d’ailleurs un scénario potentiellement similaire à celui de ce dernier qui pourrait bien guetter la Swedish House Mafia. L’album «Hyperion» du frenchy avait ainsi pris un stop massif de la part de son public de longue date, avec pour cause principale une direction artistique tranchée, prise sans réelle transition après une longue période d’absence et surtout sans aucune démarche de vulgarisation ou de contextualisation venant de l’artiste et de sa communication minimaliste. Un ensemble de facteurs qu’on retrouve ou pourrait retrouver dans le cas du prochain album d’Axwell, Angello et Ingrosso.

Ceux-ci courent selon nous le risque de se retrouver face à la double impasse de convaincre d’une part le public underground qui aura du mal à s’intéresser à un projet accusant un passif aussi mainstream, et convaincre de l’autre son public mainstream qui s’attendait à ré-écouter Don’t You Worry Child. Bienvenue aux suédois dans l’ère post-EDM, qui ne produit plus de succès à l’explosion insolente comme Calvin Harris, Avicii, Skrillex ou les Swedish eux-mêmes.

La scène d’aujourd’hui semble en effet moins facilement unifiable que par le passé. A ce sujet, le français Madeon a notamment souligné sur Twitter qu’historiquement, «une grande partie de l’attrait de la SHM réside dans le caractère dramatique et sérieux du projet. Tout doit être un grand adieu ou des retrouvailles». Une démarche excitante qui fonctionne surtout lorsqu’on met d’accord son public derrière. Billboard annonçait le futur album «Paradise Again» comme a make or break moment (un moment décisif, quitte ou double) mais les suédois seraient selon nous justement inspirés de ne pas accorder un tel enjeu à ce projet si jamais celui-ci se révêle être aussi expérimental et innovant qu’annoncé. Descendre de son piédestal et partager sa vision avec son public semble aujourd’hui nécessaire pour ne pas voir la hype des Swedish se retourner contre eux-même.

‘Paradise Again’ n’est que le début. On a encore assez de musique pour quelques albums supplémentaires.

Steve Angello (Billboard)

Retrouvez l’interview intégrale «Swedish House Mafia Returns: In Stockholm With the Dance Music Legends» réalisée par Billboard.

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